Actualité #14

Le patrimoine vernaculaire de la Bourgogne 

Au-dessus de Nantoux, dans les Hautes Côtes de Beaune, quelques hectares de prairie sont aujourd’hui des parcelles de vignes. Plantées en février 2021, elles donneront des premiers raisins dans deux ans. Sur ce très beau terroir oublié se trouvait aussi une cabotte qui témoigne de la présence d’une activité viticole ancienne. Le Domaine Leflaive a entièrement restauré cette cabane de pierre sèche dont la vocation était de servir d’abri au vigneron ou de réserve à outils. «Il est important de maintenir ce patrimoine vernaculaire de la Bourgogne, souligne Brice de La Morandière, associé-gérant du domaine. On pense qu’il y avait des vignes au XIXe siècle sur ces prairies de Nantoux. Cette cabotte est un témoin de l’histoire viticole de la région, de la France en général, d’avant le phylloxera.»


Ces constructions, sans mortier, montrent également un savoir-faire remarquable de la taille des pierres directement sur l’ouvrage afin de pouvoir l’équilibrer. Leur restauration fait revivre ainsi des métiers oubliés et un certain nombre d’artisans ont pu reprendre voire réapprendre ces techniques. Cet héritage bâti, indissociable du paysage bourguignon, lui confère une harmonie que le classement des Climats au Patrimoine mondial de l’Unesco avait consacrée en 2015. L’Association des Climats de Bourgogne a mis en place depuis cinq ans un dispositif d’aide financière à la restauration sur le périmètre inscrit à l’Unesco. Plus de 200 projets de propriétaires privés et publics ont été soutenus : murets, escaliers, portes de clos… et 14 cabottes ! Un nouvel appel à projets est en cours jusqu’au 23 juin.


«Ce patrimoine est esthétique, traduisant la beauté et l’équilibre de nos terroirs, et il reste utilitaire : les murets ont une fonction importante pour la gestion du vent notamment», explique Brice de La Morandière, qui avec Aubert de Villaine et Guillaume d’Angerville, mène chaque année une levée de fonds auprès des grands amateurs asiatiques dont les dons sont aussi précieux. «Nous avons comme une mission de relever ce patrimoine souvent en mauvais état. Tous ces petits gestes sont importants. L’Association des Climats a cofinancé la restauration d’un puits gallo-romain au cœur des vignes de Blagny. C’est sensationnel ! Il est enthousiasmant de constater que les Bourguignons s’occupent de leur héritage culturel.»


Le couvert végétal a un impact complet 

La terre est un organisme vivant dont il faut prendre soin. Au-delà des bienfaits de l’agriculture biologique, qui exclut tout produit chimique de traitement, les équipes du Domaine Leflaive ont généralisé la pratique du couvert végétal dont les effets sur le sol, la vigne et au final le vin sont établis. Explications avec le directeur général Pierre Vincent. 


A quoi sert le couvert végétal dans le vignoble ?


Il s’agit d’un enherbement volontaire et provisoire des rangs de vigne en semant un mélange naturel de céréales et de légumineuses : orge et avoine ; pois, féverole et vesce. On sème en septembre, à la sortie des vendanges, et en quelques semaines un couvert végétal se développe. Le seul enherbement naturel s’avère irrégulier, d’où l’idée de déclencher ce couvert végétal afin d’obtenir une plus grande homogénéité. Nous le pratiquons maintenant sur la totalité des parcelles du domaine après avoir lancé des premiers essais il y a cinq ans. 


Quels effets avez-vous pu mesurer ?


D’abord, cela permet de structurer le sol pour limiter l’érosion : avec les pluies d’hiver, la bonne terre peut glisser en bas de parcelle, c’est une perte de terroir. Quand nous procédons à la tonte en avril-mai, il y a un deuxième effet du couvert végétal : on le laisse sécher quelques jours, pour constituer un engrais vert, avant de l’enfouir par un léger labour. Cela va apporter de l’azote à la vigne qui en a besoin à cette époque de l’année. On rejoint là l’un des grands principes de la biodynamie : il faut nourrir le sol qui va nourrir ensuite la plante.


Le couvert végétal a-t-il au final un impact sur la qualité du vin ? 


Oui. C’est comme un troisième effet qui va enrichir le moût, le jus de raisin. On le sait depuis longtemps en œnologie, un moût naturellement plus riche en azote fermentera mieux. A contrario, les fermentations alcooliques peuvent s’avérer longues voire être stoppées avec des moûts carencés en azote, donc produire des vins avec des défauts : il restera des sucres, ce qu’on ne souhaite pas pour nos vins secs, et il y a un risque d’oxydation prématurée. Un moût équilibré contient aussi des précurseurs aromatiques naturellement présents. Nous obtiendrons au final des vins plus complexes. On voit ainsi que le couvert végétal a un impact complet : pédologique sur la structure des sols, agronomique sur la santé du végétal et œnologique sur l’équilibre du vin. 


Des chevaux au royaume des Grands Crus

Bertrand Chapuis veille depuis neuf années sur des membres de l’équipe Leflaive un peu particuliers : les chevaux Prune, Lola et Gitan. Ce trio n’a pas un rôle de figuration, son travail présente l’intérêt agronomique d’un labour qui tasse moins les sols. Et dans des sols aérés, en meilleure santé, les racines plongent plus facilement pour explorer le terroir. «C’est une pratique ancienne au domaine, qui se développe beaucoup en Bourgogne mais généralement avec des prestataires extérieurs. Nous sommes peut-être les seuls à posséder nos propres chevaux», explique Bertrand qui parcourt avec eux les parcelles de Grands Crus de mars à juillet, avant de pratiquer aussi le buttage en novembre-décembre.

Prune (22 ans) et Lola (24 ans) viennent de partir à la retraite après des années de service. Elles sont au pré pour un repos bien mérité, dans les prairies au-dessus de Nantoux, à proximité de vignes nouvellement plantées. À Gitan, 7 ans, de prendre la relève : cet Auxois, une race de labour purement bourguignonne, a été dressé aux travaux depuis deux ans. «C’est un beau gabarit, plus massif et plus lourd, observe Bertrand Chapuis. Il reste en apprentissage et sera complètement prêt bientôt. Il faut aussi s’adapter à lui. L’endurance dépend de nombreux facteurs. Et c’est souvent le cheval qui donne le signal de sa fatigue quand il s’agite ou prend le rang plus difficilement.» Selon les périodes de l’année, Gitan est logé à Puligny-Montrachet ou à Nantoux, où il pourra retrouver deux anciennes collègues…


Sortie de cave : La Jobeline et la Belouze, Mâcon-Verzé, le coup de cœur de Brice de La Morandière

« En 2020, nous avons acheté des parcelles en Mâconnais, dans le village de Verzé, qui sont passées depuis en conversion bio et biodynamie. Il s’agit aussi d’en tirer des vins à la façon Leflaive. C’est toujours un pari de reprendre des vignes mais la dégustation du millésime 2022 en parcellaires nous a épatés ! Deux vins sont ressortis nettement, au niveau en moins de trois ans de nos cuvées Mâcon-Verzé : la Jobeline et la Belouze. C’est un grand espoir et déjà une satisfaction parce qu’il y a une émotion particulière à révéler un lieu : ces vins expriment de la personnalité avec beaucoup d’équilibre, de précision et d’énergie, une belle tension minérale. Le fruit est très présent. Nous allons suivre attentivement ces parcelles afin d’envisager de compléter la gamme de nos Mâcon dans un ou deux ans. »